Type de texte | source |
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Titre | Lettres à l’imitation des héroïdes d’Ovide |
Auteurs | Fontenelle, Bernard le Bouyer de |
Date de rédaction | |
Date de publication originale | 1752 |
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Date de reprint |
(t. IV), p. 333-336
(On dit que Dibutade de Sicione inventa la sculpture. Un soir sa fille traça sur une muraille les extrémitez de l’ombre de son amant, qui se formoit à la lumiére d’une lampe, et cela donna à Dibutade la premiére idée de tailler une pierre en homme. Je supose que cette fille ayant vû une belle statuë de la façon de son père, écrit à son amant. Les noms de Dibutadis et de Polemon sont feints).
Une nouvelle joïe, et que je veux t’écrire,
Tient mon esprit tout occupé.
Mon pere m’a fait voir un marbre qui respire,
Du moins si l’œil n’est pas trompé.
Qui ne s’étonneroit que la pierre ait su prendre
La mollesse même des chairs,
Et ce ne je sais quoi de vivant et de tendre
Qui forme les traits et les airs ?
Tu sais quelles raisons me font aimer la vue
D’un marbre si bien travaillé.
D’une si douce joie on n’a point l’ame émue,
Sans que l’amour y soit mêlé.
Par ce divin chef-d’œuvre est à mes yeux offerte
L’image de cet heureux soir,
Qui répara si bien une légère perte
Que tu crus alors recevoir.
Tu venais me parler, j’étais avec mon père ;
Il sait, il approuve nos feux :
Mais un pere est toujours un témoin trop sévere
Pour les amours et pour les jeux.
Quelques mots au hasard jetés par complaisance
Composoient tout notre entretien ;
Et nous interrompions notre triste silence,
Sans toutefois nous dire rien.
Une lampe pretoit une lumiere sombre
Qui m’aidoit encore à rêver.
Je voyois sur un mur se depeindre ton ombre ;
Et m’appliquois à l’observer.
Car tout plait, Polémon, pourvu qu’il represente
L’objet de notre attachement.
C’est assez pour flatter les langueurs d’une amante
Que l’ombre seule d’un amant.
Mais je poussai plus loin cette douce chimere ;
Je voulus fixer en ces lieux,
Attacher à un mur une ombre passagere,
Pour la conserver à mes yeux.
Alors en la suivant du bout d’une baguette,
Je trace une image de toi ;
Une image, il est vrai, peu distincte, imparfaite ;
Mais enfin charmante pour moi.
Dibutade, attentif à ce qu’Amour invente,
Conçoit aussitôt le dessein
De tailler cette pierre en figure vivante,
Selon l’ébauche de ma main.
Ainsi, cher Polemon, commence la sculpture ;
Graces à ces heureux hasards.
L’Amour qui sut jadis débrouiller la nature,
Aujourd’hui fait naître les arts.
Je sens un doux espoir à qui mon cœur se livre ;
Tout l’avenir s’offre à mes vœux.
Puisqu’on peut vivre en marbre, on y voudra revivre,
Pour se montrer à nos neveux.
Les héros par cet art étendront leur mémoire
Bien loin au-delà de leurs jours ;
Et le soin qu’ils auront d’éterniser leur gloire,
Eternisera nos amours.
Combien de demi-dieux, dont les hommes peut-être,
Eussent oublié jusqu’au nom !
Que d’exemples puissans que l’on n’eût pu connoître,
Si je n’eusse aimé Polemon !
Mais si tu ressemblois à tant d’amans volages,
Si tu changeois à mon égard,
Oserois-tu jeter les yeux sur les ouvrages
Que va produire un si bel art ?
Ta noire trahison auroit toujours contre elle
La voix de ces témoins muets,
Qui te reprocheroient cet amour si fidèle
Dont ils sont tous autant d’effets.
Je t’offense, et je sais qu’il s’eleve en ton âme
Un vif, mais doux ressentiment.
Viens, je réparerai ces soupçons de ma flamme,
Que je condamne en les formant.
Quoi ! de tels changemens seroient-ils donc possibles ?
Quoi ! cet amour toujours vainqueur
Animeroit par moi des marbres insensibles,
Et n’animeroit plus ton cœur ?
Dans :Dibutade et la jeune fille de Corinthe(Lien)